IGNOMINIE

POÈMES ET PSAUMES

 

 

DES POÈMES ET DES PSAUMES INOUBLIABLES
SUR L'ENFER DE LA SHOAH

'Nous sommes infiniment redevables à Renée Ferrer, poétesse paraguayenne, d’avoir écrit Ignominie, recueil de poèmes et psaumes si désespérément humains sur la tentative de déshumanisation de l’homme dans les camps de concentration nazis en Europe au siècle dernier. Ignominie est un éloge à la vie, une célébration de la mémoire, un shabbat shalom de l’amitié entre les peuples. Puisse, à la lecture d’Ignominie, l’humanité recouvrée se convaincre de ne plus jamais s’abaisser au niveau zéro de la barbarie la plus inconcevablement abjecte et dégradante de la Shoah'.           

 

 
Peinture par David Olère
Chambre à gaz (Sans date)

 

 Photo du Camp d'Extermination d'Auschwitz (Pologne) 

 

  ISBN: 978-1-937030-45-2

 

                                                                                     INTRODUCTION

Nous sommes infiniment redevables à Renée Ferrer, poétesse paraguayenne, d’avoir écrit Ignominie, recueil de poèmes et psaumes si désespérément humains sur la tentative de déshumanisation de l’homme dans les camps de concentration nazis en Europe au siècle dernier. Leur lecture m’évoqua d’emblée plusieurs livres de romanciers et mémorialistes de la Shoah : celui d’abord de l’Italien Primo Levi, Si c’est un homme, récit autobiographique qui se déroule dans le camp d’Auschwitz; celui ensuite du Roumain devenu Américain Elie Wiesel, Prix Nobel de la Paix, et la si triste description par ce magnifique écrivain de sa relation au père au camp de Buchenwald, dans son petit livre, La nuit; et ceux enfin de Jorge Semprun, le plus francophile des Espagnols : son émouvant Le grand voyage, long trajet vers Buchenwald une fois encore, et Quel beau dimanche ! sur la vie dans ce camp d’extermination, instant par instant, à la manière d’Alexandre Soljenitsyne décrivant l’enfer de l’Archipel du Goulag dans Une journée d’Ivan Denissovitch.

Surtout, lisant le recueil de poèmes et de psaumes de Renée Ferrer du début à la fin, une nuit sombre sous une lune blafarde de circonstance, je ne pus m’empêcher de penser à Samuel Pisar, l’un des plus jeunes survivants des camps de Majdanek, Auschwitz et Dachau. Toute ma vie durant, dans les bons et les mauvais moments, l’exemple de courage et de détermination indestructibles de ce gamin ne devait cesser de me guider. Pénétrant dans la chambre à gaz, condamné à une mort certaine, il repéra dans un coin un seau d’eau et un balai, et se mit à nettoyer le sol pendant que la pièce se remplissait peu à peu des personnes qui allaient être asphyxiées lentement. Puis, regardant droit dans les yeux le Kapo et l’officier nazi, le petit Samuel sortit, comme si de rien n’était, de l’antichambre de la mort avec ses instruments de travail sous le bras, comme il le conta dans sa passionnante autobiographie, Le sang de l’espoir.

C’est tout le monde disparu du Shtetl juif d’Europe centrale, que l’historienne Rachel Ertel sut si bien faire revivre dans un beau livre naguère, celui aussi des peintures colorées de Marc Chagall, qui traversent entre les lignes les pages du recueil Ignominie. Isaac Bashevis Singer, le grand écrivain juif polonais de langue yiddish, qui échappa à la tragédie en émigrant aux Etats-Unis quand il en était encore temps, écrivait à la fin de son roman, La famille Moskat, ce que Renée Ferrer montre de manière implacable et quasi insoutenable dans les poèmes et les psaumes d’Ignominie: ‘Le Messie, c’est la mort’.

À mes yeux, Renée Ferrer, poétesse, conteuse, romancière et historienne, nominée pour le Prix Nobel de Littérature, personnifie non seulement la grandeur d’une femme de lettres paraguayenne savante et cultivée au sein de l’Académie Paraguayenne qu’elle préside avec talent et grâce, mais elle en incarne encore plus l’humanité glorieuse qui transcende toutes frontières spatiales et temporelles. Dans ma présentation à Assomption de son volume de contes et nouvelles publié récemment aux Éditions L’Harmattan, je n’hésitai pas à la qualifier de ‘Marguerite Yourcenar du Paraguay.’ On pourrait tout aussi bien la comparer à une autre ‘Immortelle’, Simone Veil, ancienne Présidente du Parlement Européen et Membre de l’Académie Française, qui fut déportée à quinze ans. Celle-ci fit graver sur son épée d’Académicienne le numéro 78651, correspondant à son matricule au camp de concentration d’Auschwitz-Birkenau, marque d’infamie tatouée sur le bras et revendiquée par elle en son moment de gloire littéraire. À ceux qui avaient programmé de faire disparaître à jamais un peuple dont elle était, Simone Veil rétorquait magnifiquement, leur imposant symboliquement l’immortalité de la Coupole.

Le recueil de Renée Ferrer, Ignominie, est un éloge à la vie, une célébration de la mémoire, un shabbat shalom de l’amitié entre les peuples. Merci à Renée Ferrer d’avoir su l’écrire avec la retenue et le respect nécessaires, eu égard à la gravité du sujet. Merci encore à la poétesse paraguayenne de nous avoir rappelés, à travers ses poèmes et psaumes poignants et bouleversants, au devoir de mémoire, indispensable pour que le massacre inhumain des innocents assassinés scientifiquement par des hommes devenus monstres ne soit jamais oublié. Puisse, à la lecture d’Ignominie, l’humanité recouvrée se convaincre de ne plus jamais s’abaisser au niveau zéro de la barbarie la plus inconcevablement abjecte et dégradante de la Shoah.           

                                                                                                                                                                                                              Alain Saint-Saëns

 

 

                                                                                                 PROPOS SUR

                                                                                                   LA SHOAH

         Il n’est pas facile d’écrire de la poésie sur le thème de la Shoah. Bien que de grands poètes comme l’Allemande Nelly Sachs ou l’Israélien Hayim Nahman Bialik s'y soient risqués, c’est un thème apocalyptique au même titre que la fin du monde, et, de fait, il y a un avant et un après l’immense génocide. Depuis Auschwitz, en effet, l’on ne peut plus considérer l’aventure humaine comme l’évolution inéluctable vers une planète et une humanité plus parfaites. Quelque chose s’est passé, en ce moment crucial, qui eût pu ne relever que du cauchemar halluciné d’un Franz Kafka ou d’un Walter Benjamin.  Le premier déjà avait imaginé, dans La colonie pénitentiaire et Le procès, une société engluée dans une horreur quasi métaphysique. Le second, dans sa conception théologique kabbalistique de l’avenir de l’homme, avait, lui, entrevu un ouragan qui annihilerait les villes devenues champs de ruines sous le souffle destructeur de la guerre.

         Dans un précédent recueil de poèmes, Les demeures de l’Univers, Renée Ferrer avait déjà fait référence à la doctrine kabbalistique qui parle du transit des âmes depuis l’obscurité de ce monde sublunaire jusqu’à la lumière divine ; elles sont détachées – comme des paillettes de lumière – de l’éclat originel qui inondait l’univers. Nous sommes, en ce sens, des fragments de l’essence divine. Mais la Kabbale nous apprend aussi la valeur ésotérique des lettres de l’alphabet hébreu, où la H est maudite : Hérode, Hitler, Hiroshima, etc.…

         Dans cette œuvre de Renée Ferrer, s’opère, par la parole, une transfiguration de la souffrance infinie appelée Shoah. Les vers de la poétesse paraissent, pour ce qui est du style, inspirés d’anciennes balades hébraïques, semblables à celles d’Else Lasker-Schüler qui fut l’amie de Kafka: à ceux qui marchent à la mort, on promet la béatitude éternelle et la libération définitive de la douleur et de la souffrance de ce monde. Les poèmes de Renée Ferrer sont une épiphanie : ils ouvrent les portes d’un monde de compassion et d’espoir au-delà de l’existence terrestre pour les victimes de l’atroce sacrifice. C’est la situation de Job devant les terribles épreuves auxquelles Dieu le soumet, avant de finalement le consoler. Un poème, ‘Donne-moi la main’, est exceptionnel, en ce qu’il marque une situation extrême, à la limite de ce que peut supporter la condition humaine, parce qu’il s’agit d’un enfant innocent qui peut-être n’est pas parvenu à comprendre le sens de sa propre mort, ni les avatars de son destin.

         D’autre part, cette voix poétique d’un haut registre dramatique établit tout le temps un parallélisme entre la nature, avec ses fleurs et ses arbres printaniers qui entourent le camp d’extermination – situation similaire à la branche fleurie qu’Anne Frank, avant d’être capturée par la Gestapo, voyait depuis sa fenêtre et qui, d’une certaine manière, la consolait de son horrible tragédie – et  la méchanceté humaine confrontée à la vie exubérante du bois. C’est l’histoire de ‘l’obnubilation en marche’ contre ‘l’éternel retour de la même chose’.

Enfin, il faut prendre en compte que Renée Ferrer décrit l’horreur terrifiante depuis une perspective chrétienne de charité et compassion, qui la fait participer de la souffrance d’autrui et assumer l’angoisse des victimes comme si c’était la sienne propre. Je crois qu’une transformation de la souffrance – au moyen d’un sentiment quasi religieux – s’entrevoit bien dans cette poésie rédemptrice.

Osvaldo Gonzalez Real

Membre de l’Académie Paraguayenne

 

                            

                       DONNE-MOI LA MAIN

 

Tends-moi ta petite main transie de peur,

Marchons ensemble telles que nous vînmes au monde

Le jour de notre naissance,

Quand dansait le cœur de nos parents

Autour du berceau.

 

Abandonne tes doigts dans la tiédeur de ma main

Afin que je les couvre de réconfort,

Et entre avec moi,

Douce petite fleur,

Dans l’antichambre de cette vie qui nous attend

Au-delà de l’asphyxie et de l’outrage.

 

Ne crains point de te réveiller transformée en voilure

Montant vers les nuées pour sillonner l’infini

Sur les ailes de ton âme des jours de vendanges.

Marche collée tout contre moi,

Comme le liseron qui se mêle au branchage

Des arbres au printemps,

Et lève ta petite bouille triste

Pour que ceux-ci se reflètent dans tes yeux

Après l’insomnie torturée de leurs nuits

Et pour que, peut-être, quand tout sera terminé,

On les voie entrer victorieux dans l’éclat suprême.

 

 

 

Prisonniers juifs libérés d’un train de la mort les conduisant

 vers un camp de concentration en 1945.

 

                             AVANT LE LEVER DU JOUR

 

La trachée du vent tourmente le bois

Souillé de fumée et de silence.

Au plus près des fils de fer barbelé,

La nuit recouvre la toiture des baraques

Courbées sous la chute de neige floconneuse.

 

Les yeux de la mort épient les contours et les ombres

Depuis les miradors solitaires, le doigt sur la gâchette.

Sur les rails des trains, pullulent les spectres,

L’air absent,

Tandis que sur les grabats,

La fièvre étendue sur la paille sèche

Agrandit démesurément le cratère de la désolation.

Dans les sentiers du bois sanglotent les spectres. 

 

Où est la danse des flammes

Dans la salamandre de la salle qui libérait l’esprit du feu,

Pendant que bramait l’hiver à travers les rues désertes ?

Où sont les joues brûlantes et le regard fixe

Dans les débandades de la rêverie et du désir,

La chaleur qui tendait la peau des genoux,

Maintenant que j’ai les mains si gelées ?

Où est le grésillement de la joie

Sans la marque de l’opprobre sur le front

En parcourant le marché et les recoins du ghetto ?

Dans les rues vides pullulent sans but les spectres.

 

Je me réfugie dans les bras de ce feu

Qui illumina ma fenêtre la nuit où je t’aimai,

Maintenant que je suis immergée dans l’obscurité,

À attendre la lumière ténébreuse du matin.

Et si la mort ne me veut point,

Je porterai cette étoile qui brille comme un trésor sur le front.

 

                           LE PETIT SOULIER VIDE

Aux petites victimes

 de la Shoah.

 

À l’intérieur d’un cube transparent

(Musée de l’Holocauste),

Un petit soulier vide.

De Cuir mou ou de toile grossière,

Imprégné du souvenir enflé des doigts de pied.

Baillant devant, et derrière, usé.

Il porte des taches de champ embrumé,

De jeux à la balle de toile

Et une odeur qui vous pénètre par les yeux.

Tel un unique butin,

Chéri comme un trésor.

Depuis l’orifice des viles cheminées,

la chair enfantine a plu sur le ciel,

Détourné son innocence vers les étoiles,

Et fait honte à la lumière

Qui patiemment empestait.  

Jérusalem, 1986

 

 

                                     

                                            IGNOMINIE

À partir d’un plan du film,

La liste de Schindler.

Sur un tas de la mort,

Agitant les manches après un papillon,

Un petit manteau rouge.

Des boucles d’oreille,

Des piluliers,

Des montres,

Des épingles,

Des boutons de manchette,

Des blagues à tabac,

Des dents en or,

Des chapeaux,

Des lunettes,

Et un petit manteau rouge.

 

La fête est finie.

L’air au ras du sol est taché de papiers,

Et sur la crête du vent

Nous salue sans bras

Le petit manteau rouge. 

Kansas, 1994

 

 

RENÉE FERRER

Ex Présidente de l'Académie Paraguayenne

 

Renée Ferrer vit au Paraguay. Romancière, poétesse et conteuse, elle a composé une oeuvre considérable et importante. Son roman, Les noeuds du silence, traduit de l'espagnol par Marianne Vilá, a été publié en France en l'an 2000 par les Éditions Indigo et Côté Femmes. Plus récemment, un recueil de nouvelles, Sécheresse et autres contes du Paraguay, traduit de l'espagnol par Martine Breuer, a été publié à Paris par les Éditions L'Harmattan en 2013. 

Alain Saint-Saëns est poète, dramaturge, romancier et traducteur.Ses romans ont pour titres Hijos de la Patria (2015); et Dos viudas y un huracán (2016). Il a traduit récemment de l'espagnol L'hiver de Gunter de Juan Manuel Marcos (2011); Cupidité de Maribel Barreto (2018); du portugais à l'espagnol, Un río en los ojos, d'Aleilton Fonseca (2013); de l'anglais au français, Loin, très loin de la maison de ma mère de Barbara Mujica (2005). Alain Saint-Saëns est Membre Correspondant de l'Académie des Lettres, Bahia, Brésil.

ALAIN SAINT-SAËNS

Membre Correspondant de l'Académie des Lettres
de Bahia au Brésil