La question de la
forme, comprise en son sens premier, qui pose un rapport au
sensible, implique celle de l’espace, installant une
configuration qui a pu être pensée par la philosophie et
l’esthétique contemporaines sous le nom de disposif.
Le colloque « Formes : Supports / Espaces » qui s’est tenu
du 28 juillet au 4 août 2014 au Centre culturel
international de Cerisy-la-Salle s’est donné pour objet
cette relation entre la forme et l’espace, en un sens
concret qui convoque la notion de support : si la forme
s’inscrit nécessairement sur un support, qui la met en
espace, quelle pertinence esthétique (et le cas échéant
sémantique) accorder à ce support ? Il s’est donc agi de
proposer les linéaments d’une poétique matérielle – une
poétique du support – dans une perspective intersémiotique,
et interdisciplinaire, où ont trouvé leur place la
visibilité du texte (et de l’avant-texte) – aussi bien que
la « publication orale » de la poésie sonore – le rapport
texte / image dans la bande dessinée, le travail sur
l’espace qui caractérise toute une part de la création (plastique,
musicale) contemporaine…
Les analyses et propositions que le lecteur découvrira
posent, inévitablement, la question du support nommé livre,
et ont tout aussi inévitablement, comme le rappelle
Jean-Jacques Thomas, pour toile de fond la « fin du livre ».
Or, cette « fin du livre » annoncée par Jacques Derrida, et
d’autres après lui, n’apparaît pas comme un constat
pessimiste, mais plutôt comme le résultat d’ouvertures qui
ont multiplié les hybridations.
C’est qu’au début du XXe siècle les mouvements d’avant-garde,
dans leur ambition de faire communiquer toutes les
expressions artistiques, ont inscrit le langage dans les
arts plastiques en montrant à la fois que les supports et
les formes du texte pouvaient être multiples et que les
structures linguistiques contenaient des potentialités
susceptibles d’être exploitées dans les arts : on pense bien
entendu à Marcel Duchamp et à ses ready-made, mais aussi à
Picabia et à bien d’autres…
Au cours du XXe siècle, l’oeuvre poétique n’a cessé de
s’affranchir de la linéarité typographique et d’investir de
nouveaux territoires et de nouveaux matériaux. Dans ce cadre
prend tout son sens la réflexion de Frank Wagner sur le
caractère de plus en plus mobile des traditionnelles limites
entre les textes et leurs paratextes, et sur la
complexification des formes de lecture qu’entraîne cette
mobilité.
Jean Ricardou interroge, pour sa part, les couples « forme-fond
» et « forme-contenu » pour montrer comment, contrairement à
certaines idées recues, les contraintes liées à la forme et/ou
aux aspects les plus matériels des supports déterminent
justement le « contenu », et affirment ainsi la force de la
forme.
Ce sont justement ces rapports forme/contenu qui sont
volontiers problématisés dans la bande dessinée, qui fournit
aussi d’excellents exemples de transformations des supports
et s’interroge de manière fort intéressante sur ses
adaptations éventuelles aux médias numériques – comme le
montre notamment le travail d’Olivier Deprez.
La problématisation des supports s’accompagne, que ce soit
en amont ou en aval, d’interrogations concernant l’écriture
: comment écrire pour d’autres supports que le livre, écrire
pour tablette, pour iphone, pour des espaces vides, dans des
espaces bondés, dans des lieux de passage, pour la radio…
C’est vers de telles questions que nous orientent les
travaux et réalisations de Célia Houdart, Patrice Hamel, Guy
Lelong et Lucile Haute. Les outils de l’écriture, ses
formes,la façon dont elle est diffusée, les supports sur
lesquels elle se dépose, tendent à devenir de plus en plus
variés.
Autour de tels objets théoriques, le colloque a rassemblé
critiques, créateurs et théoriciens (spécialistes du texte
et de la génétique textuelle, de la bande dessinée, de
l’esthétique), que le lecteur trouvera réunis dans ce numéro
19 de Formules. Revue des créations formelles – qui
constitue ainsi les actes de cette rencontre.