EDITORIAL
Émergence Sud
est une revue transdisciplinaire dont le seul
intérêt est de mobiliser et de diffuser les savoirs
universitaires susceptibles d’éclairer ou de
décrypter les multiples dynamiques sociales qui
structurent les sociétés africaines contemporaines.
Face aux grands défis de développement ou de bien
être qui sont aujourd’hui ceux des africains,
Émergence Sud interpelle à la fois des
anthropologues, sociologues, géographes, historiens,
politologues, philosophes…qui sont des acteurs
susceptibles de contribuer efficacement, à travers
leurs expertises riches et plurielles, à l’émergence
rapide des sociétés africaines en acte. Sans donc
laisser la prééminence à une seule des sciences
humaines et sociales, Émergence Sud
accueille favorablement des articles nécessaires à
l’enrichissement des concepts et théories du
développement; elle accorde un intérêt majeur aux
résultats issus des travaux de terrain et qui sont,
de ce fait, susceptibles de proposer des leçons
innovantes pouvant mieux ré-orienter les politiques
et les pratiques de développement en contexte
africain. Plus simplement, Émergence Sud
entend, au sein de la communauté universitaire
africaine ou de la diaspora, solliciter des
connaissances et des approches transversales,
plurielles qui abordent dans leur totalité ou
complexité les phénomènes sociaux qui influencent ou
déterminent le processus de la renaissance des
sociétés africaines.
Comme toute revue qui tient à son rayonnement
scientifique, Émergence Sud ne publie que des
travaux inédits dont les analyses s’adossent non
seulement sur des travaux théoriques et/ou
empiriques mais, qui apportent surtout des
connaissances nouvelles dans le champ scientifique
disciplinaire spécifique de l’auteur. Cette Revue
ambitieuse privilégie également la dimension
critique et objective des analyses. Au sens
ziéglerien, elle entend être une «arme»
intellectuelle et réflexive véritable, capable de
devenir un instrument de lutte et d’affranchissement
contre les diverses formes de domination et
d’impérialisme qui «bloquent» la renaissance
africaine. Cette fonction critique structure et
traverse l’identité originelle de Émergence Sud
et fait d’elle une Revue africaine volontairement
engagée.
Émergence Sud
est une publication semestrielle bilingue. Sa
création répond à un besoin académique profond et
urgent : celui de promouvoir des espaces de
publication scientifique solides, crédibles et
durables au sein de la communauté universitaire
africaine. Chaque numéro publié peut, soit regrouper
des articles faisant l’objet d’un Dossier
thématique ; soit rassembler des textes constituant
un «Mélange» mais mettant chacun en exergue
une question cruciale centrée sur les défis du
bien-être dans un pays du Sud.
Ce premier numéro questionne
prioritairement la problématique et les défis du
développement durable dans les hautes terres au
Cameroun. Aujourd’hui, il n’existe plus un seul pays
dans le monde qui ne soit affecté d’une manière ou
d’une autre par le phénomène complexe des
changements climatiques. Ces changements s’opèrent
en imprimant fortement leurs marques tant sur la
terre ferme que sur les océans et les mers, sans
oublier l’atmosphère à travers la fameuse couche
d’ozone dont l’altération ne fait plus l’objet de
doute aujourd’hui. L’équilibre climatique de
l’Univers a été profondément bouleversé par les
activités anthropiques (exploitation démesurée des
ressources comme le pétrole, les gaz, …). Les
progrès scientifiques et techniques ont eu pour
revers une modification croissante des équilibres du
climat, occasionnant par endroits des sécheresses
spectaculaires.
Si dans les zones tempérées
les changements climatiques se font ressentir de
plusieurs façons (fonte des glaciers, canicules
spectaculaires, incendies des forêts, etc.), il y a
lieu de reconnaître que la situation est tout aussi
préoccupante dans les tropiques ou au Sud. Ainsi,
dans les discours des dirigeants des pays d’Afrique
Sub-saharienne, l’on peut détecter un certain nombre
de concepts et d’expressions qui rappellent
l’ampleur des conséquences des changements
climatiques sur le continent. Ces concepts et
expressions sont du type : « Avancée du désert » ;
« Déforestation » ; « Pénuries d’eau » ;
« Sécheresses » ; «Développement durable»,
etc. Ils traduisent l’inquiétude des dirigeants face
à cette déferlante qui ne laisse que très peu de
chance aux générations futures. L’urgence d’agir est
dont réelle, et se présente désormais comme une
nécessité. Il est urgent d’agir (et de réagir),
non seulement pour atténuer les effets induits par
l’élévation du niveau des océans, mais aussi et
surtout pour ralentir ou stopper la grande avancée
du désert. C’est à ce niveau qu’intervient et se
révèle la problématique du reboisement, en lien
avec celle plus grande du développement durable (sur
les hautes terres).
L’on peut légitimement se
réjouir de l’intérêt que les dirigeants des États
sub-sahariens ont accordé à cette question du
reboisement à l’échelle transnationale. Le projet de
la grande muraille verte devant partir du Sénégal
pour atteindre Djibouti, en est une parfaite
illustration. Il s’agit pour ce projet, de planter
des arbres dans un couloir bien défini, et sur une
largeur considérable, dans le but de faire face au
désert du Sahara qui ne cache plus ses velléités à
conquérir de nouveaux espaces un peu plus au Sud. En
plus de ce grand projet transnational, il se
développe de plus en plus dans des États, un
ensemble de microprojets de reboisement dont le but
est toujours de contrer l’avancée du désert, et
d’inscrire le développement dans une grande
durabilité. Au Cameroun par exemple, l’opération « Sahel
Vert » a fait parler d’elle. Certaines
entreprises multinationales installées au Cameroun,
notamment celles de la téléphonie mobile, prennent
également très au sérieux la question
environnementale. C’est ainsi qu’on assiste à
l’existence des fondations qui mènent des actions de
reboisement sur le terrain dans des écoles, à
l’instar de l’opération « un élève-un arbre »
menée sur l’étendue du territoire national.
Comme on peut le constater, la
question de reboisement se pose dans des espaces
sociaux, et reçoit des réponses spécifiques en
fonction des contextes. L’urgence d’agir sur le
terrain à travers des actions spécifiques en faveur
du reboisement sur les hautes terres ne saurait
cacher celle de construire une réflexion
scientifique soutenue et plurielle sur cette
question. Les questions relatives à l’environnement
et au développement durable ont certes bénéficié
d’une audience scientifique considérable. Celles
plus spécifiques relatives au reboisement dans les
hautes terres restent très peu traitées. La présente
livraison de la revue « Émergence Sud » se
propose d’explorer de façon profonde et
interdisciplinaire les contours de la question du
reboisement en relation avec la grande problématique
du développement durable.
Résumés des contributions
Paul AHIDJO analyse les
stratégies de reboisement qui font suite aux
dégradations environnementales au Nord Cameroun.
Pour l’auteur, face à l’ensemble des problèmes
écologiques, les stratégies de reboisement
s’imposent et s’analysent comme des défis auxquels
des acteurs de l’environnement sont confrontés. Des
pouvoirs publics aux organismes non gouvernementaux,
en passant par les populations locales et les élus
du peuple, le reboisement s’inscrit comme une
priorité en matière de politique environnementale au
Nord Cameroun. Par le biais d’une approche
pluridisciplinaire, sa contribution tente d’étudier
ces stratégies des acteurs dans ce milieu
écologiquement vulnérable.
Toujours
dans la partie septentrionale du pays,
Abel TEWECHE articule
les implications environnementales et
socioéconomiques des périmètres de reboisement dans
les territoires ruraux. Il appuie sa réflexion par
l’exemple des monts Mandara à l’Extrême-Nord du
Cameroun. Ses observations de terrain montrent
qu’il existe plusieurs périmètres de reboisement
identifiés dans les monts. Ce couvert végétal
reboisé participe à la restauration progressive des
sols peu couverts de la zone d’étude non sans
procurer des revenus aux populations locales qui
font une utilisation encadrée des essences plantées
comme bois de chauffe et bois d’œuvre.
Paul Basile
ELOUNDOU MESSI, Abel TEWECHE et Hervé GONDIE
examinent les problèmes sanitaires autour du barrage
de Ouro Tada à Mokolo, dans la région de l’Extrême-nord
du Cameroun. Pour les auteurs, ces problèmes
sanitaires font suite à l’insalubrité dans le site.
Par une méthodologie qualitative, ils montent à
travers leur étude que les populations riveraines
polluent constamment l’eau du barrage par leurs
activités domestiques surtout en saison sèche, et
que ces eaux polluées sont utilisées par les
exploitants agricoles, notamment ceux qui font des
cultures maraîchères.
Les productions scientifiques
ci-dessus montrent que la partie septentrionale du
Cameroun recèle un ensemble de dynamiques à la fois
physiques et humaines qui s’inscrivent dans la
grande problématique de la gestion des hautes
terres. La partie sud du pays n’échappe pas à ces
dynamiques environnementales. Dans cette optique,
centrant son analyse sur les monts Bamboutos dans la
région de l’Ouest Cameroun, Roger NGOUFO innove avec
le concept de « montagne laboratoire » dans
cette partie du pays, et montre que la montagne est
d’ailleurs le « creuset de l’élaboration des
problématiques environnementales ». Dans
l’opérationnalisation de ce concept, l’auteur
mobilise deux paradigmes : celui de la « verticalité »
et celui du « système spatial ». En
conclusion, il pense que les monts Bamboutos peuvent
effectivement être considérés comme un laboratoire
de diversités naturelles et d’analyse de changements
environnementaux et sociaux.
Les monts Bamboutos étant un espace
de production agricole, les contraintes multiples et
parfois contradictoires relatives à cette activité
des monts plongent les paysans dans la « tourmente ».
C’est ce que montre Jean-Emet NODEM dans son étude
centrée sur le village Bangang, groupement de l’Ouest-Cameroun.
Pour l’auteur, la forte teneur en eau des zones de
basses et de hautes altitudes de ce village
consolide le couple « eau-agriculture », qui
est loin de vivre toujours en harmonie, dans un
contexte où l’avenir de l’agriculture semble
incertain, au regard du rythme actuel de
surexploitation de la ressource en eau disponible.
La « tourmente » s’installe dès lors que les
acteurs en présence n’ont pas les mêmes
potentialités en matière d’exploitation des espaces,
et par ricochet, de production agricole. C’est ainsi
qu’à côté du concept de « grands agriculteurs »,
l’auteur travaille à la construction d’un autre
concept, celui de « paysans inadaptés », ces
derniers étant victimes des tumultes causés par les
premiers.
Etienne Collins KANA et
Célestin KAFFO posent la problématique de la
conflictualité en matière de gestion des réserves
forestières de l’Ouest-Cameroun. Les acteurs en
présence sont principalement les populations
riveraines et l’administration néocoloniale. Entre
« revendications foncières » des populations
riveraines et « logiques dirigistes » de l’Etat,
se construisent des enjeux et des stratégies
d’acteurs qui alimentent une multitude de formes de
résistances.
Les activités agricoles et
pastorales qui sont pratiquées sur les versants Sud
des Monts Bamboutos à l’Ouest-Cameroun, sont
susceptibles de provoquer des « risques
sanitaires » au quotidien. Yves Bertrand DJOUDA
FEUDJIO centre son analyse sur la perception de ces
risques par les acteurs en activité dans les monts,
et questionne les usages thérapeutiques mis en
branle par ces acteurs dont la vulnérabilité face
aux dangers multiples est incontestable. Par le
biais d’une méthodologie qualitative qui privilégie
des approches ethno-méthodologiques (enquête de
terrain) et celles de la psychologie sociale,
l’auteur apporte des clarifications significatives,
en montrant notamment que les paysans ou exploitants
agricoles des monts font preuve de beaucoup
d’inventivité et d’ingéniosité dans la gestion des
risques sanitaires qui jonchent leur quotidien.
L’analyse faite par Félix
MEUTCHIEYE, Mathilde SANGLIER et Olivier MIANTSA
FOKAM présente le système de production du miel
blanc dans la localité Oku, région du Nord-Ouest du
Cameroun. Son travail se présente globalement sous
le prisme de trois types d’analyses différentes que
sont la « social analysis » qui met l’accent
sur le renforcement des capacités féminines dans ce
système, la « organisational analysis » qui
décrit la gestion de ce système de production du
miel par les autorités administrative, la « technical
analysis » qui s’intéresse aux méthodes
traditionnelles de produire le miel, et finalement,
la « environemental analysis » qui souligne
les actions entreprises par les producteurs du miel
blanc en matière de protection de l’environnement,
notamment la foret Kilum-Ijim.
Jean-Emet NODEM
Sociologue, H.D.R Développement rural
Université de
Dschang (Cameroun)